Nuit de lune au Père Lachaise
La demie de 5 heures annonçant la fin des visites vient juste de sonner à la pendule du gardien chef, la lourde porte de bois se referme avec un grincement sec sur la solitude du grand cimetière de l'Est.
Les coups de sifflet stridents des vigiles se sont tus, le silence retombe, troué de-çi de-là par un chant d'oiseau que le soir inspire. Le Père Lachaise s'installe pour la nuit dans une parfaite sérénité. Solitaire, désert ? Ce n'est là qu'une apparence. A pas de velours,surgissant de leurs cachettes, les chats arrivent de toutes parts.
Dissimulés le jour dans les bosquets, derrière les monuments, dans les caveaux abandonnés, ils émergent, prudents, après avoir attentivement vérifié qu'ils sont bien seuls. Que pour cette nuit encore, ce domaine leur est restitué.
Des dizaines de chats apparaissent à la queue leuleu, portant haut leur tête égyptienne, masque énigmatique, oreilles pointées, certains sont superbes. D'autres, plus humbles, affectent une attitude timorée, suivis des pelés, des parias, derniers arrivés. Ils se groupent selon leur ordre social, la hiérarchie est bien établie. Assis sur leur train arrière, les chats demeurent silencieux, on dirait qu'ils attendent un mot d'ordre mystérieux et secret.
A vive allure, l'assemblée se défait. Les chats, queue en chandelle, filent comme si, poussés par une force obscure, ils allaient à un mystérieux rendez-vous. En remontant vers le colombarium, on voit un beau gisant, il s'agit de Victor Noir, journaliste, accusateur, dénonciateur de la corruption, assassiné par le prince Napoléon à l'âge de 22 ans. Il gît dans sa redingote d'époque, le sculpteur a poussé la recherche de la ressemblance jusqu'à rendre grâce aux plis des vêtements, dans leurs mouvements.
On dit...que Victor Noir apporterait fécondité et bonheur aux femmes stériles. Elles viennent caresser le gisant de bronze auprès duquel est déposée une fleur toujours fraîche. Si on en juge sur l'apparence, Victor Noir devait être un amant fameux et le chat qui le garde est un fameux matou. Collé au gisant, il guette tout ce qui peut avoir allure de femelle. Une chatte s'aventure dans les parages ? Aussitôt en alerte, un cri rauque sort de sa gorge suivi d'un concert de miaulements énamourés. C'est le "Chat Noir" qui rend hommage à sa belle. Craignant pour ses attributs virils menacés, dans la journée il se terre au plus profond d'une cache connue de lui seul. Victor Noir le protège et dès lors, nulle main sacrilège ne peut rien contre lui. Mais où court cette grosse chatte couleur d'ébène que le clair de lune énerve ? Elle entame son parcours nocturne quotidien, faisant une halte chez Frédéric Chopin, elle reprend son souffle pour se diriger vers Alfred et son saule rachitique qui n'en finit pas de larmoyer. Les plus beaux chants d'amour dorment ici, chez Musset. Et la belle minette reprend son va et vient incessant, chaque nuit , elle va d'une tombe à l'autre se demandant pourquoi ils sont si éloignés l'un de l'autre...Cette chatte singulière se prénomme George...
Dans la fameuse allée de la 93e division, les monuments d'hommes célèbres se rencontrent à chaque pas. Ici, un groupe se tient devant le monument d'Alexandre Liautard, fondateur de l'école vétérinaire américaine. Les matous, la queue fouettant l'air, discutent avec véhémence, rendant hommage à cet homme qui apporta tant aux animaux.
Alexandre Liautard disait :"Soyez bons avec les animaux, par tous les moyens, évitez-leur les traitements rudes et brutaux. N'oubliez jamais que ce sont des bêtes souvent impuissantes à se défendre."
"Alexandre Liautard, je tiens à te dire merci au nom de tous les miens" dit un vieux matou imbu de sa supériorité.Puis le groupe de chats se dirige vers le monument funéraire de Samuel Hahnemann, créateur, découvreur de l'homéopathie.
Il ne se passe pas de nuit sans qu'un groupe de chats vienne adresser des remerciements fervents aux deux hommes qui choisirent de consacrer leur vie à soulager la misère animale. Et si les hommes oublient, les chats perpétuent leur souvenir.
La lune se dessine, dispensant une blanche et froide clarté.
Une densité nocturne pèse sur le vaste et célèbre cimetière. Pris dans le faisceau lunaire, le dolmen de Kardec semble émettre sa propre lumière. Au fronton du monument se lit :" Naître, mourir, renaître encore et progresser sans cesse. Telle est la loi."
Elle fait échec à la mort ténébreuse. Elle ouvre un devenir meilleur.
Au sommet du monument, sur la pierre plate du dolmen, un immense chat noir veille. Immobile, il semble taillé dans le basalte. Seuls vivent ses yeux aux reflets d'or.
Le jour va bientôt se lever, la lourde porte d'entrée, s'ouvrira à nouveau sur la vie diurne laisant passer les visiteurs.
Epuisés par leur intense activité, les chats auront prudemment réintégré leurs abris. La main compatissante qui, chaque matin, dépose leur pitance a déjà terminé sa tournée. Repus, paisibles, les chats du Père Lachaise ont droit à un repos mérité.
En communion avec les défunts illustres ou obscurs, ils s'allongent pour dormir de ce qu'il est convenu d'appeler le sommeil du juste, jusqu'au prochain crépuscule, heure magique.
Je ne vous ai confié ici qu'une partie des choses cachées qui m'ont été révélées par un vieux matou philosophe et complice un soir de pleine lune.
Si vous n'y croyez pas, rien ne vous empêche d'aller vérifier sur place. Le secret du Père Lachaise demeure inviolé à jamais enfoui dans l'énigmatique et mystérieuse conscience des Chats.
Le cimetière du Père Lachaise est le plus grand cimetière parisien et l'un des plus célèbres dans le monde.
Classé monument historique depuis 1993.
Commentaires (3)

- 1. | 10/09/2016

- 2. | 05/03/2012

- 3. | 17/03/2011
Mais peut-être que des minets
viennent y pleurer leur maître disparu!
Qui sait? S'ils pouvaient nous parler,
ils nous en diraient des choses!
Je me souviens "Madame D" qui est allée chaque jour pour nourrir les chats...
Merci ! Cynthia (Mexique)